8 janvier 2005
Comme tu le vois par la
date, nous sommes à quelques jours de ton neuvième anniversaire. Je ne
pourrai pas le fêter avec toi, puisque 800 kilomètres nous séparent.
Aujourd’hui, tu remontes dans le train vers Stuttgart. J’ai pensé à toi
toute le journée.
Le 5 janvier, nous sommes
allés avec ta mère voir ton grand-père, mon papa. Tu ne t’en souviendras
sûrement pas. Nous n’y sommes restés que quelques minutes, tu as joué
avec le chien. Ta maman avait insisté pour aller le voir.
Il faut dire que cela
faisait 3 ans que ton grand-père ne t’avait pas vue. Pourquoi ? Pour une
part à cause de ma lâcheté habituelle – tu auras l’occasion de t’en
rendre compte – d’autre part à cause de votre dernière visite au jardin,
lorsque tu étais allé voir grand-père et Nicole, sa femme, au jardin. A
cette époque, nous étions en pleine séparation, et ta mère voulait
convaincre mon père de faire pression sur moi. Mon père ne voulait pas
s’en mêler et Nicole avait tendance à me soutenir. Ce qui fait que d’un
côté ta mère était fâchée contre mon père et Nicole et que de l’autre
côté, ceux-là ne tenaient pas tellement à la revoir.
Ta mère ne vint donc plus
au jardin, peut être autant pour les « punir » que parce qu’elle ne s’y
sentait pas soutenue.
Trois ans plus tard,
après beaucoup d’effort pour vaincre ma lâcheté, j’ai demandé à ta mère
si je pouvais te mener voir grand-père. Elle a insisté pour venir avec
nous et je n’ai pas pu l’en empêcher.
Il faut dire que papa et
Nicole m’avaient tous les deux dit qu’ils aimeraient te revoir. Lorsque
j’avais fait comprendre que ta mère voulait aussi venir, ils m’ont dit
qu’ils ne tenaient pas à la voir après ce qu’il s’était passé au jardin.
Bref, j’étais pris entre
deux feux, comme tellement de fois dans ma vie.
Puisque vous étiez à
Valence, et après une heure de téléphone houleux avec ta mère, vous êtes
passées à Tournon me prendre et nous sommes allés au jardin de mon père.
Une fois arrivés au
jardin, je craignais beaucoup la réaction de mon père. Je ne savais pas
comment il allait se comporter. Je l’avais vu une fois – je te
raconterai une autre fois – recevoir quelqu’un qui m’accompagnait
froidement, et je n’avais pas aimé ça.
Il a été ravi et il n’a
cessé de dire que cela lui faisait un plaisir fou que vous soyez
passées, et on sentait bien qu’il était ému. Nous sommes repartis en lui
assurant qu’il reverrait plus souvent sa petite-fille. Ce jour là, il
n’avait pas beaucoup de temps, parce qu’il devait aller chercher Nicole
à la gare. Elle venait de passer deux jours à Paris – mon cadeau de Noël
– et elle devait revenir le soir même.
Vous m’avez donc laissé à
Valence et nous nous sommes quittés.
Cette journée difficile
émotionnellement n’était pas près de se terminer. A Valence, je
retrouvais la personne avec laquelle je vivais, et nous eûmes, comme
dans toutes les relations à deux une « remise de pendules à l’heure »
qui fut très positive mais qui me donna encore un coup.
Dans la soirée, le 5 au
soir pour être précis, Nicole m’appela, voix cassée par la grippe et par
le souci. Papa n’était pas allé la chercher à la gare, et lorsqu’elle
avait pu rentrer par ses propres moyens, elle l’avait trouvé dans les
toilettes de l’appartement, à demi inconscient.
Sa première question
fût : mais qu’est-ce qu’il s’est passé cette après-midi pour que ça l’ai
mis dans un état pareil ? Bravo la culture de la mauvaise conscience.
La suite fut classique
mais éprouvante. Les pompiers sont venu le chercher pour le mener aux
urgences. Nous y sommes arrivés une demi-heure plus tard. Nicole est
arrivée peu après.
Mon père était sur un lit
d’hôpital, habillé de la blouse blanche destinée aux malades. Quand je
suis arrivé, il pleurait. Les infirmières m’ont dit : il répète tout le
temps qu’il vient de voir sa petite-fille qu’il n’avait pas vue depuis 4
ans.
Pour le coup, c’était moi
qui me sentait mal. Je n’aurais jamais dû aller au jardin avec toi et ta
mère sans le prévenir.
Mais il allait plutôt
bien. Les analyses ont montré que son taux d’alcoolémie était élevé et
que cela pouvait expliquer son absence, surtout dans le cas d’un choc
émotionnel.
Bref, tout cela a bien
duré jusqu’à trois heures du matin, heure à laquelle nous avons pu le
ramener chez Nicole.
Entre-temps, il va bien
et Nicole a soigné sa grippe.
Mais il y a aussi une
autre explication possible. Le 6 janvier, c’est un anniversaire qui a
peut-être eu une influence.
En effet, le 6 janvier
1996, c’est à la fois la date à laquelle il était prévu que tu naisses –
même si tu nous a fait attendre 8 jours de plus – mais c’est aussi le
jour où ma mère, ta grand-mère est morte.
A l’époque, c’était assez
dramatique. Tout le monde t’attendait pour le 6 janvier, nous habitions
en Allemagne et ce n’était déjà pas facile d’accompagner ta mère dans la
grossesse, mais il a fallu que ce jour-là ma mère attrape une attaque
cardiaque sur le chemin du jardin.
D’un certain côté, ce fut
une belle mort. Elle avait toujours dit qu’elle ne mourrait jamais d’un
cancer, et elle a eu raison. Elle est morte au jardin, dans les bras de
mon père. C’est beau, non ?
Bien sûr, papa a mis
beaucoup de temps à s’en remettre, et je dois avouer que j’ai eu peur
qu’il ne fasse un mauvais usage des armes qu’il avait dans son cabanon.
Mais plus tard, il a
retrouvé Nicole – c’était des amis d’enfance de mon père et de ma mère –
et tout s’est arrangé.
Le 6 janvier donc, nous
t’attendions. Le téléphone a sonné : c’était Vincent, mon frère qui
m’annonçait que maman était morte.
Pas question d’aller à
Valence à cause de l’imminence de ton arrivée. Ce qui fait que je n’ai
jamais vraiment « senti » qu’elle n’était plus là. Souvent je pense
encore : Tiens, je vais lui téléphoner …
Il y a donc un rapport
entre toi et ta grand-mère, quelque chose qui vous relie. C’est aussi
pourquoi papa a dû être plus remué que d’habitude.
Bon, je vais te laisser,
ma chérie.
Gros bisou
Papa
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